Spike Lee adapte son film-culte Nola Darling n’en fait qu’à sa tête (She’s gotta have it) en série. Même style, même ambiance, même univers pour un récit étonnamment actuel.
C’est quoi, Nola Darling n’en fait qu’à sa tête ? Nola Darling (DeWanda Rise) est une artiste afro-américaine de 20 ans qui vit à Brooklyn. Jeune femme libre et sans tabou, elle mène une vie sexuelle décomplexée entre ses trois amants et sa maîtresse : Jamie (Lyriq Bent) un avocat marié, Greer (Cleo Anthony) un mannequin sexy, Mars (Anthony Ramos – joué par Spike Lee dans le film), un cycliste excentrique, et Opal (Ilfenesh Hadera), sa voisine lesbienne. Entre vie amoureuse et aspirations professionnelles, Nola se cherche, refuse de se laisser enfermer dans le moindre carcan et se construit en dehors des normes et des diktats de la société.
Durant l’été 1985, Spike Lee tourne son premier film – en deux semaines, en noir et blanc et avec un budget ridicule de 175.000 dollars. Le résultat : She’s Gotta Have it, clairement influencé par la Nouvelle Vague, se démarque par l’originalité de sa construction, de son ton et de son propos. Succès au box-office, le film est couronné de plusieurs prix et lance la carrière du réalisateur.
La série porte indéniablement la patte de son auteur : montage nerveux, caméra hyper-mobile, ruptures de rythme, séquences sulfureuses… On y trouve aussi l’insertion au cours d’une scène de la pochette du disque servant de bande-son – procédé original et sympathique qui vous évite d’ouvrir votre application Shazam… La musique (bien que vintage) est fantastique, la série est remplie de références cinématographiques (Denzel Washington, si tu nous lis …) Il faut adhérer au cinéma de Spike Lee mais, à tout prendre, ce n’est pas un défaut : tout en conservant son style, il fait de son film en une vraie série, avec une saison cohérente composée de 10 vrais épisodes, au lieu de faire un long film de 5 heures découpé en séquences de 30 minutes (Et là, on dit bonjour à Woody Allen)…
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L’histoire reste la même : Nola Darling, jeune afro-américaine décomplexée, se partage entre ses amants et sa carrière d’artiste ; elle fait figure d’électron libre en raison de son indépendance et de son non-conformisme. En 30 ans, certaines choses ont changé : Brooklyn est devenu un repère de bobos, certains tabous sur la sexualité ont disparu et Trump est président. Pourtant, il est étonnant de voir à quel point les thèmes fondamentaux de Nola Darling restent pertinents et actuels. Étonnant… et effrayant : la sexualité et l ‘identité féminines, l’image du corps, le jugement extérieur et la manière dont certains hommes se croient autoriser à affirmer une forme de domination sont encore des sujets prégnants.
C’est ce qui fait de Nola Darling une série particulièrement intéressante. Précisons qu’il n’est pas nécessaire d’avoir vu le film : la série est totalement indépendante et le premier épisode est une transposition quasi-littérale des premières scènes. Le générique reprend aussi les mêmes images que celui de l’œuvre cinématographique, avec l’insertion de paysages et de scènes actuelles en couleur. Intelligent, le procédé permet de conforter le lien entre les deux fictions, tout en affirmant la modernisation, la contemporanéité de la série. Et ce, même si Nola Darling ne manque pas d’évoquer plusieurs productions récentes – comme la géniale Insecure de Issa Rae ( DeWanda Rise, au demeurant excellente dans le rôle de Nola, a d’ailleurs un langage corporel et des expressions très proches de celles de sa consœur…).
La comparaison n’enlève rien à la force et à la pertinence de Nola Darling. Spike Lee a réalisé l’ensemble de la saison et signé le scénario du pilote et du final, confiant à d’autres ceux du reste des épisodes. En l’occurrence, la majorité des auteurs sont des femmes et cela se ressent fortement dans la construction du personnage et de l’histoire. Concrètement, la série raconte l’expérience d’une femme noire, et elle arrive en pleine libération de la parole face au harcèlement et aux agressions sexuelles, et en pleine résurgence du racisme (aux États-Unis, le mouvement Black Lives Matter). Nola est confrontée à ces situations au quotidien. En tant qu’artiste, elle est régulièrement qualifiée d’artiste « noire » ; agressée dans la rue par un inconnu dont elle ignore les avances, elle est plus tard critiquée pour la longueur de sa robe et ses œuvres sont vandalisées par des tags insultants.
Si l’univers, les personnages, le cœur du propos sont peu ou prou les mêmes, Nola prend en revanche une autre dimension. Dans le film, sa caractéristique principale réside dans sa vie sexuelle : elle a plusieurs amants, c’est une femme indépendante et sans tabou, indifférente au regard des autres. C’est aussi le cas de la Nola 2017, mais cette fois, elle se se définit au-delà de sa libido, par exemple sur le plan artistique lorsqu’elle se sert de ses expériences comme catalyseur de son expression picturale. Nous la suivons dans sa vie sentimentale et familiale, chez sa psy, lorsqu’elle peint ; à travers sa propre perception des faits ou les témoignages face caméra de ses proches… Progressivement se dessine un personnage en perpétuelle évolution et extrêmement complexe, à la fois sûre d’elle et pleine de doutes, affranchie des conventions mais pourtant piégée dans les stéréotypes dans lesquels l’enferment son sexe, sa couleur de peau, sa culture, sa classe sociale.
En adaptant son film She’s Gotta have it, Spike Lee signe une très bonne série. Parfois déconcertante sur la forme car marquée par le style particulier du réalisateur, elle n’a (malheureusement) rien perdu en modernité sur le fond. Comparée à une série comme Insecure, Nola Darling (la série) est certainement moins originale que ne l’était à l’époque Nola Darling (le film) ; l’héroïne reste flamboyante et il est facile d’entrer en empathie avec elle. Et pas seulement si l’on est une femme ou un afro-américain : la série est susceptible de parler à quiconque a un jour caressé le rêve insensé d’exprimer son identité, d’assumer ses désirs et ses ambitions sans être jugé, catalogué, enfermé par le regard des autres. C’est en ce sens que, au-delà du sexe, de la race ou de la classe sociale, Nola Darling est un personnage attachant et enthousiasmant.
Nola Darling n’en fait qu’à sa tête. (Netflix)
10 épisodes de 32′ environ