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Qu’est ce que le massacre de Thiaroye, qui suscite encore le débat aujourd’hui ?

Le 1er décembre 1944, au crépuscule de la seconde guerre mondiale, l’administration coloniale française abat arbitrairement au moins 35 tirailleurs sénégalais ayant participé à l’effort de guerre. Ce mardi 24 juin, l’unique descendant connu des victimes du massacre de Thiaroye, Mbap Senghor, a porté plainte contre X et l’Etat Français pour « recel de cadavre ». Que s’est-il réellement passé au camp de Thiaroye ce 1er décembre 1944 ? Pourquoi le massacre de Thiaroye est-il encore source de débats au sein de la communauté historique, citoyenne et politique ?

Fin de la guerre, début de l’horreur : les prémices de Thiaroye

En 1944, la France est libérée de l’occupation allemande suite aux débarquements de Normandie et de Provence. Pour la France résistante, la fin de la guerre se profile et les prisonniers de guerre sont ainsi petit à petit libérés. Parmi eux, les « tirailleurs sénégalais » , soldats issus des colonies de l’OAF ayant combattu avec et pour la France pendant la deuxième guerre mondiale. Ces derniers avaient pour beaucoup passé 4 ans emprisonnés en Allemagne, condamnés à travailler dans les Arbeitkommandos.

Ce contingent de tirailleurs ainsi libéré, il est emmené au port de Morlaix, dans le but d’être rapatrié au Sénégal. Seulement, le retour de ces tirailleurs dans les colonies françaises n’enchante pas l’Etat Français, qui redoute que ces derniers ne se soumettent plus au régime colonial français une fois rentré.

En effet, la France pense perdre le contrôle de ses colonies si les troupes coloniales, restés plusieurs années en dehors des colonies, influencent les idées de leurs confrères une fois de retour dans leur pays. Une lettre du ministre des colonies adressée au gouverneur de l’OAF dès l’arrivée des tirailleurs au port de Morlaix souligne cette peur irrationnelle : «  il vous apparaîtra sans doute comme à moi, que le retour des ex-prisonniers de guerre en AOF est susceptible de créer, au sein de la société indigène, une perturbation qui peut, dans les circonstances actuelles, prendre une couleur politique. » (Thiaroye : un mensonge d’État. Prisonniers de guerre « indigènes » : Visages oubliés de la France occupée (p. 193-214) Mabon, A. (2019))

Le 5 novembre, le navire part de Morlaix avec plus de 1600 passagers à bord. Cependant, à Morlaix, certains soldats refusent d’embarquer sur le bateau pour Dakar, le Circassia, tant que leur situation administrative n’est pas réglée. Le 11 novembre, une opération armée est organisée et plusieurs d’entres eux sont blessés par balle.

La question du solde de captivité

Les soldats Français prisonniers par l’ennemi devaient tous recevoir un solde de captivité faisant guise d’indemnités face à la détention en territoires ennemis en temps de guerre. Le massacre de Thiaroye tourne autour de ce solde, que l’Etat français refusait de verser aux tirailleurs ayant combattu pour la France.

Un quart de cet argent leur avait été préalablement versé en métropole, mais les rapatriés, une fois arrivés au Sénégal, demandait alors logiquement le restant de leur argent – soit les trois quarts de leur solde. Une somme qui leur était refusée.

Les tirailleurs sénégalais, pour être démobilisés, restaient au camp de Thiaroye, à 15km à l’Est de Dakar. Ils devaient y régler toutes les formalités nécessaires avant de retourner une fois pour toute à la vie en société civile. Cependant, ces derniers refusaient de partir du camp de Thiaroye tant que leur « salaire » ne leur était pas versé. C’est sur ce manquement de l’Etat Français que s’est construit l’un des plus grands drames de son histoire colonial.

La mort de ceux qui se sont battus pour la France

Les évènements ayant eu lieu à Thiaroye ont été fortement et longtemps cachés par la France : certaines archives ne sont pas disponibles et le travail des historiens pour reconstituer les évènements sont donc toujours en cours.

On sait cependant qu’au moins 35 soldats sénégalais sont morts sous les frappes françaises le 1er décembre 1944 pour avoir demander un salaire égal à celui de leurs confrères de métropole. Selon les rapports Français, une rébellion s’était organisée au sein du camp de Thiaroye, nécessitant alors « une démonstration de force » – d’où l’importance de souligner la peur de l’Etat Français concernant sa souveraineté sur son territoire coloniale à la fin de la guerre.

Ainsi, plusieurs compagnies indigènes, un char américain et des automitrailleuses ont été mobilisés pour « mater » la soi-disante rébellion, prouvée fausse aujourd’hui. Aujourd’hui, on relève officiellement 35 morts, 35 blessées, et 34 membres des troupes coloniales jugés à tort suite au massacre de Thiaroye. Cependant, en recoupant les différentes sources – car certaines étaient trafiquées – certains historiens soutiennent maintenant que Thiaroye compte beaucoup plus de victimes : « Ainsi, le seul travail d’historien sénégalais sur la question estime le nombre total de victimes à 191 grâce à un décompte des tirailleurs après la répression suivant leur affection de départ » (Mourre, M. (2012). Les ressacs de la mémoire collective.)

Le massacre de Thiaroye, ou l’enjeu de la mémoire

Vraie part d’ombre de l’Histoire française, le massacre de Thiaroye est au cœur des enjeux d’histoire et de mémoire. Depuis 2014, il est posé qu’aucune rébellion n’a eu lieu à Thiaroye, faisant de ces événements un vrai mensonge d’Etat selon l’historienne Armelle Mabin, qui soutient même que le massacre avait été prémédité.

Grande part d’ombre également concernant les corps des victimes. Certains témoignages mentionnent des tombes blanchies au chaux, mais ce sont avérés faux. Il s’agit aujourd’hui de connaître le nombre de corps jetés dans les fausses communes.

Le 12 octobre 2012, le président François Hollande assumait « la répression sanglante » de l’Etat Français envers ses propres soldats, une expression qui a suscité le débat, la répression insinuant qu’une confrontation préalable émanant des troupes coloniales avait eu lieu. En 2024, 80 ans après les faits, Emmanuel Macron reconnaissait au nom de la France « le massacre de Thiaroye », une première. Un long chemin a donc été parcouru pour déconstruire le récit officiel établi autour de Thiaroye – mais il reste encore beaucoup à élucider.

A lire aussi : 5 dates clés dans l’histoire de Notre-Dame de Paris

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