La « fenêtre d’Overton », concept clé en politique, délimite ce qui est acceptable de dire ou de proposer à un moment donné. Forgé dans les années 1990 par Joseph P. Overton, il est utilisé pour faire évoluer les normes sociétales. Utilisé par divers courants politiques, notamment l’extrême droite, ce concept aide à comprendre comment des idées marginales peuvent devenir acceptables au fil du temps.
La naissance de la fenêtre d’Overton
La fenêtre d’Overton tire son nom de Joseph P. Overton, un juriste et lobbyiste américain qui a introduit ce concept dans les années 1990. Overton utilisait cette expression pour décrire les limites des idées jugées acceptables par la population à un moment donné. Imaginez une fenêtre à l’intérieur de laquelle se trouvent les idées perçues comme légitimes et acceptables politiquement et socialement. À l’extérieur de cette fenêtre, les idées sont perçues comme radicales ou inacceptables.
Le concept repose sur l’idée que les opinions publiques sur ce qui est acceptable peuvent être déplacées au fil du temps. Lorsque des idées qui étaient autrefois marginales commencent à être discutées et débattues plus ouvertement, elles peuvent progressivement entrer dans cette fenêtre d’acceptabilité. À l’inverse, des idées qui étaient autrefois acceptées peuvent en être exclues au fur et à mesure que les normes sociales changent. Ce déplacement de la fenêtre est essentiel pour comprendre comment des mouvements politiques ou sociaux parviennent à changer la perception publique et à influencer les politiques.
Pourquoi parler de fenêtre ?
Le terme « fenêtre » est utilisé parce qu’il suggère une ouverture à travers laquelle les idées peuvent être vues et évaluées par la société. Ce périmètre des idées acceptables n’est pas fixe; il peut se déplacer en fonction des changements dans les opinions publiques et les normes sociales. Les politiciens, les militants et les penseurs peuvent tenter d’élargir ou de déplacer cette fenêtre pour inclure de nouvelles idées ou en exclure d’autres.
Il est important de noter que cette fenêtre est influencée par un large éventail de facteurs, y compris les médias, les leaders d’opinion, les mouvements sociaux, et même les événements historiques. Par exemple, des crises économiques ou des scandales politiques peuvent modifier rapidement ce qui est considéré comme acceptable ou inacceptable. La fenêtre d’Overton nous rappelle donc que les normes et les valeurs d’une société sont en constante évolution et qu’elles peuvent être modelées par ceux qui maîtrisent l’art de la persuasion et de l’influence.
Une fenêtre en mouvement
La caractéristique clé de la fenêtre d’Overton est qu’elle est dynamique et mouvante. Elle évolue avec le temps, reflétant les changements dans les attitudes et les croyances de la société. Par exemple, la prohibition de l’alcool aux États-Unis était autrefois dans la fenêtre, mais elle est maintenant largement vue comme une loi absurde. De même, le droit à l’avortement, autrefois une idée radicale, est aujourd’hui largement accepté dans de nombreux pays.
Cette dynamique peut être observée à travers l’histoire. À une époque, des idées comme l’égalité des droits pour les femmes ou le mariage homosexuel étaient considérées comme radicales et inacceptables. Cependant, grâce à des décennies de militantisme et de changement social, ces idées ont progressivement gagné en acceptabilité et sont maintenant largement soutenues dans de nombreuses sociétés. La fenêtre d’Overton montre comment les idées peuvent passer d’une extrémité de l’acceptabilité à l’autre, soulignant l’importance de la persévérance et de l’engagement dans la transformation sociale.
Des idées radicales à acceptables
Un autre exemple est le droit à l’avortement, qui était une idée radicale et inadmissible pour la majorité des politiciens dans la première moitié du XXème siècle. L’opinion a changé, et dans beaucoup de pays, l’avortement est progressivement entré « dans la fenêtre » : on pouvait en discuter, en débattre. En 1975, il a été légalisé en France. Mais bien sûr, rien n’est figé, et il est possible que la fenêtre se déplace dans l’autre sens.
L’histoire montre également que la fenêtre peut se déplacer en réponse à des efforts concertés pour modifier l’opinion publique. Par exemple, le mouvement pour les droits civiques aux États-Unis a réussi à déplacer la fenêtre d’Overton pour inclure des idées sur l’égalité raciale et la justice sociale qui étaient autrefois considérées comme trop radicales. De même, les mouvements contemporains pour la justice climatique travaillent à élargir la fenêtre pour inclure des actions plus audacieuses contre le changement climatique, en normalisant des pratiques et des politiques auparavant considérées comme extrêmes.
Comment faire bouger la fenêtre d’Overton ?
Les politiciens peuvent tenter de déplacer la fenêtre d’Overton en soutenant des politiques situées en dehors de la fenêtre actuelle. Cependant, il est plus courant que ce déplacement soit le résultat de l’évolution des valeurs et des normes de la société. Une méthode courante pour déplacer la fenêtre consiste à exposer régulièrement l’opinion publique à des idées auparavant considérées comme extrêmes, les rendant plus visibles dans les médias et les réseaux sociaux.
Cette stratégie est souvent utilisée par les mouvements politiques et sociaux pour amener progressivement des idées marginales au centre du débat public. Par exemple, les campagnes de sensibilisation sur le changement climatique ont commencé par des alertes sur des phénomènes extrêmes, puis ont progressivement déplacé la discussion vers des actions plus concrètes et acceptées. Les politiciens peuvent également utiliser des déclarations choquantes ou provocatrices pour tester les limites de la fenêtre et voir comment le public réagit, ajustant ensuite leur message en fonction de ces réactions.
Les activistes et la normalisation des idées
Certains activistes écologistes utilisent des actions jugées « radicales », comme bloquer des routes ou perturber des événements, pour déplacer la fenêtre. En comparaison, des actions moins radicales deviennent alors plus acceptables. Par exemple, les manifestations ou les projets de loi qui semblaient autrefois extrêmes peuvent désormais paraître modérés.
Cette approche repose sur l’idée que la confrontation répétée à des idées ou à des actions radicales peut diminuer leur caractère choquant et les rendre plus acceptables avec le temps. C’est une technique de désensibilisation qui a été utilisée avec succès par divers mouvements sociaux pour faire progresser leur agenda. Par exemple, les manifestations pour les droits des homosexuels, qui incluaient des événements très visibles comme les parades de la fierté, ont aidé à déplacer la fenêtre d’Overton pour inclure des discussions plus ouvertes sur les droits LGBT+.
L’extrême droite et la manipulation de la fenêtre
L’extrême droite américaine a utilisé le concept de fenêtre d’Overton pour faire entrer des idées très radicales dans la fenêtre. En exposant régulièrement le public à des idées ultra-racistes ou provocatrices, ils parviennent à normaliser des idées simplement xénophobes ou un peu racistes. Cette stratégie montre comment le déplacement de la fenêtre d’Overton peut être utilisé à des fins négatives pour normaliser des idées extrémistes.
Un exemple actuel de cette stratégie est illustré par la nouvelle série de Canal Plus, « La Fièvre ». Dans cette série, lors d’une soirée ultra-médiatisée, la star d’un club de football met un coup de tête à son entraîneur avant de le traiter de « sale toubab ». La polémique qui s’ensuit met en péril le club et enflamme un débat identitaire explosif. Cette situation est exacerbée par une humoriste proche de l’extrême droite, qui souffle sur les braises. Créée par Éric Benzekri et réalisée par Ziad Doueiri, « La Fièvre » explore comment des incidents médiatiques peuvent être utilisés pour déplacer la fenêtre d’Overton et normaliser des discours auparavant intolérables.
Cette tactique a été observée dans de nombreux contextes politiques où des leaders populistes ou extrémistes utilisent des discours provocateurs pour déplacer progressivement la fenêtre. En créant un choc initial, ils élargissent la discussion publique pour inclure des idées qui étaient auparavant inacceptables. Cela peut transformer profondément le paysage politique en rendant des positions autrefois marginales plus courantes et acceptables, modifiant ainsi les normes sociales et politiques.
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Qui a le pouvoir d’action ? Le rôle des institutions sociales
La fenêtre d’Overton ne décrit pas tout le fonctionnement de la politique. Mais elle décrit une chose essentielle : les institutions sociales – c’est-à-dire les familles, les associations, les lieux de travail, les amis, les médias, les groupes de réflexion, les écoles, les organisations caritatives et bien d’autres – jouent un rôle plus important que ce qu’on pense dans l’élaboration de nos politiques. L’opinion publique se forge surtout dans la vie réelle, dans les discussions entre amis, les mouvements, les associations, les collectifs, les partis… Et que les techniques de manipulation ont une faiblesse : elles perdent énormément de leur force quand on connait le mécanisme.