Daniel Pierson, directeur, comédien, formateur et fondateur du théâtre de la compagnie Ça Respire Encore » à Nancy, se livre, pour nous, sur sa vision du théâtre, la situation sanitaire, son avenir et celui de son théâtre.
Acteur important de la vie culturelle nancéienne, Daniel Pierson fonde la compagnie Ça Respire Encore en 1991. C’est en 2005 que la compagnie prend place dans un théâtre conventionné avec la ville et située au cœur du chef-lieu meurthe-et-mosellan. Ce théâtre de 50 places n’est pas seulement un lieu de représentations, il est un lieu d’échanges en témoigne son concept d’Amuse-gueules ou encore ses formations proposées. Il revendique alors cet héritage décentralisation et souhaite continuer dans cette voie de passeur culturel.
VL. Vous avez créé la compagnie de théâtre Ça Respire Encore à Nancy en 1991, mais vous vous définissez comme directeur artistique. Qu’est-ce que ce titre signifie vraiment ?
Daniel Pierson. Dans ce terme il y a direction, cela ne veut pas dire chef mais plutôt celui qui donne des directions, qui peuvent évidemment bouger. Par « artistique » je comprends tout ce qui m’intéresse dans toutes les dimensions du théâtre, cela va de l’écriture des textes, la forme de la pièce ou la scénographie. Scénographie qui amène à la peinture, la sculpture, l’éclairage, car au théâtre, pour citer Pierre Soulages, « tout part du noir ». Derrière ce terme artistique il y a donc beaucoup de choses, ma marge de manœuvre est alors assez large. J’interviens donc souvent, parce que j’aime ça, notamment par la rencontre avec les comédiens.
Parce que vous avez vous-même un passé de comédien.
Oui, en effet, j’ai commencé comme ça en 1973. Et je m’y suis progressivement éloigné pour finir par lâcher 2005 quand j’ai reçu le théâtre. Je me suis dit alors qu’il fallait laisser d’autres compagnies en profiter. Cette organisation prenant du temps, je ne fais maintenant plus que des lectures publiques dans ce qu’on appelle nous des amuse-gueules.
Justement ces amuse-gueules, de quoi s’agit-il ?
Il s’agit de lectures de textes avec des collations de tartines et un verre de vin. Ce système, mis en place en 2006 après l’acquisition du théâtre, était assez imprévu, c’était surtout une manière de faire venir les gens dans ce nouveau théâtre lorsque les spectacles n’étaient pas encore possibles. Le succès des amuse-gueules est sûrement grâce à cette ambiance d’amusement et d’apéros. C’est une autre manière de partager ce qu’on aime. Avec 120 auteurs, l’objectif est d’équilibrer les textes forts, comme ceux de Pascal Rambert, et plus légers, à l’instar de François Morel, tout comme les genres littéraires. Aujourd’hui, une dizaine de lectures sont organisées entre octobre et fin mai. Son format et ses horaires, à 19 h et durant environ 1 h 10, en font des expériences de découverte accessibles et plaisantes. La covid-19 change cependant beaucoup de choses. Pour les amuse-gueules, les masques sont obligatoires pour les lecteurs et l’accueil des spectateurs est réduit à 35 personnes. Pour les ateliers théâtraux, c’est masque obligatoire et la distanciation est respectée. Cela nous oblige à trouver d’autres manières d’interpréter le texte, on est alors toujours dans le travail.
Dans une interview datant de décembre 2018, vous confiez à l’Est Républicain que vous aviez hésité à arrêter cette compagnie et ce théâtre. Est-ce que la situation actuelle change la donne ?
Au contraire, je vais justement rencontrer le nouvel adjoint au maire pour lui exprimer mon souhait de continuer encore deux ans, souhait qui est d’autant plus grand avec l’amputation de la saison dernière. J’avais déjà rallongé mon contrat de deux ans avec l’ancien maire monsieur Hénard, mais ces deux ans s’arrêtent en juin prochain. J’ai déjà 71 ans, j’aimerais bien que cela puisse continuer après mon départ, ce qui n’était pas envisageable il y a 2 ans, il reste à voir si le nouveau maire a un avis différent. Ainsi, la situation ne me pousse pas à arrêter le théâtre, bien au contraire. Pour preuve, je travaille sur ma nouvelle création, Le 20 novembre de Lars Noren, qui présente les pensées d’un jeune homme avant d’effectuer une tuerie dans son école. Il n’est ici pas question de le défendre mais de comprendre comment il a pu basculer, c’est aussi une forme de catharsis. « La situation ne me pousse pas à arrêter le théâtre, bien au contraire. »
Quand on regarde l’emplacement du théâtre, situé au 126bis rue saint Dizier à Nancy, on remarque qu’il s’agit d’un immeuble. Quelles sont alors les spécificités de ce lieu assez insolite ? Ce lieu particulier participe sûrement à la démystification du lieu théâtral.
En effet, le théâtre est situé dans un immeuble avec des appartements et une salle qui était détenue par le Parti communiste, il est réaménagé par l’office des HLM de la ville dans les années 70. Il est alors toujours habité et on invite les familles à venir voir même si elles ont du mal à faire le pas. On remarque bien quand on arrive dans le théâtre qu’il n’est pas vraiment extraordinaire. Mais son intérieur, entièrement en bois, est souvent loué pour son côté chaleureux, et c’est tout à fait l’objectif.
Il est d’ailleurs amusant de noter que l’espace théâtral , du plein air du théâtre classique jusqu’à la salle payante du théâtre bourgeois, est intimement lié à sa définition. Le vôtre n’échappe donc pas à la règle puisque sa volonté de démocratisation se matérialise par son lieu. Quelle est alors l’histoire derrière le nom de la compagnie Ça Respire Encore ?
L’appellation de la compagnie vient en fait d’un vers de l’immense Bateau Ivre de Rimbaud, auteur qui me tient beaucoup à cœur un Cœur sous une soutane étant la première pièce de la compagnie. Ça respire encore était également un spectacle de Jean-Louis Hourdin en 1978, bien avant que je créé la compagnie, qui possédait une énergie folle avec toute une fanfare. C’est cette idée que je voulais transmettre, qu’il faut encore y aller, que les choses bougent et qu’elles valent la peine d’être vues, alors je me suis décidé.