Avec sa formule conjuguant jeu de rôles à l’ancienne et système novateur, Octopath Traveler réveille le RPG du terroir sur Switch.
Le RPG japonais, c’est un peu comme la moutarde ou le hip-hop : certains le préfèreront toujours à l’ancienne. Maintenant que la rusticité des Dragon Quest n’effraie plus l’Occident, Square Enix a jugé bon de tâter le terrain avec l’initiative Tokyo RPG Factory (I Am Setsuna, Lost Sphear), pour deux notes d’intention appréciables mais bien trop scolaires. C’est maintenant au tour du studio Acquire, responsable de la série des Bravely sur 3DS, de verser dans l’hommage avec le très attendu Octopath Traveler. Mais réussit-il à transcender son hommage à l’âge d’or du J-RPG ?
Chacun son rêve, chacun son chemin
Ici, pas de quête initiatique, pas d’élu, pas de cristal magique pour triompher des forces du mal. Dans la droite lignée des RPG omnibus des années 90 (SaGa, Live-A-Live), Octopath Traveler nous met dans la peau de huit voyageurs aux buts distincts mais identifiés dès le départ, que l’on va suivre au gré de leurs petites intrigues par monts et par vaux.
Commençons par saluer la diversité du casting : chevalier, danseuse, érudit, marchande, chasseresse… Qu’on accompagne l’académicien Cyrus sur les traces d’un ouvrage dérobé, qu’on parte à la chasse avec H’aanit à la recherche de son mentor, que Tressa nous emmène à la chasse aux trésors pour devenir la plus grande marchande du royaume, chaque personnage propose une lecture différente d’un même univers. Cette fragmentation en petits récits permet d’éviter les poncifs du genre : à l’image du prologue de Primrose, le jeu n’hésitera pas à casser les conventions douillettes de la fantasy « à la japonaise » pour imposer des scénarios plus sombres.
En sus de compétences propres à sa classe, chaque héros bénéficiera d’une interaction spécifique avec les personnages non-joueurs : Cyrus observera un villageois de la tête au pied pour lui soutirer des informations utiles allant d’un objet caché dans le décor à une ristourne à l’auberge, Tressa pourra acheter aux passants des objets introuvables en magasin quand Thérion pourra tenter de les voler, Ophilia escortera un personnage d’un point A à un point B pour résoudre des quêtes annexes… Tous les personnages n’obéissent pas aux mêmes lois, mais tout finit par se payer. Si vous vous livrez à des activités véreuses, il se peut que les villageois cessent de vous adresser la parole. Le tavernier du coin saura alors restaurer votre réputation, moyennant un pourboire. Dans l’ensemble, le choix des équipiers aura donc un impact certain sur l’exploration et les possibilités d’interaction.
Passe le rustique
Dès les premiers trailers, Octopath Traveler était attendu au tournant sur sa direction artistique, et on peut dire qu’elle parvient à dépasser la simple redite nostalgique. Le rendu « 2.5D », conciliant pixel art et aplats de textures à la façon d’un livre animé, conserve la puissance d’évocation des graphismes d’antan tout en apportant un lifting bienvenu. Un surplus d’effets viendra parfois saturer l’image (lumière volumétrique, lens-flare, reflets du soleil dans l’eau), mais rien de bien méchant. Au delà du visuel, le titre surprend surtout par la qualité de sa bande-son. Variées et toujours à propos, les compositions de Yasunori Nishiki convoquent l’euphorie de l’ère 16-bits tout en profitant des standards de production actuels. Un compositeur à surveiller !
Reculer pour mieux sauter
La principale attraction de cet Octopath Traveler réside dans son système de combat au tour par tour, qui réussit à mêler gestion de ressources et tactique à long terme. À chaque tour vos héros gagnent un point d’exaltation (PE) qui, si vous le dépensez, servira de coefficient multiplicateur aux effets de vos actions. Ce système de points à dépenser ou à économiser s’appliquera à toutes les actions de vos personnages en combat : frappes successives, soins augmentés, buffs/debuffs rallongés… À elle seule, cette mécanique fondamentale vous permettra de consolider des stratégies très variées sur plusieurs tours.
Autre corde à l’arc du gameplay : les failles. Chaque ennemi dispose d’une jauge de défense qui lui permettra d’encaisser plusieurs coups sans vaciller. Pour en venir à bout, il faudra exploiter ses différentes faiblesses (armes spécifiques, sorts élémentaires). Détruisez le bouclier de l’adversaire et vous casserez toutes ses prochaines actions sur ce tour ! Une fois les failles de chaque ennemi identifiées, une exploitation habile des points d’exaltation permettra d’infliger de très gros dégâts tout en empêchant les ennemis d’agir.
Simple à prendre en main mais suffisamment élaboré pour se renouveler, le système de combat d’Octopath Traveler est indéniablement la superstar du jeu. Ajoutez la possibilité de bi-classer vos personnages à mi-chemin, et de leur équiper des capacités permanentes (regain de vie automatique à chaque tour, croiser moins de monstres, ressusciter une fois par combat…) vous permettant de moduler la difficulté comme bon vous semblera. Si vous aimez les combats à tiroirs, c’est la fête à tous les étages.
Chemin de travers
Malgré ses faits d’armes, la mécanique rutilante d’Octopath Traveler s’inscrit dans un chapitrage à la carte qui finit par lasser. Cette narration éclatée avait déjà fait ses preuves dans les séries où le titre puise ses inspirations, mais pèche ici par une exécution bien trop rudimentaire. Sur les 32 chapitres du jeu (quatre par personnage), la progression répond bien trop souvent au même schéma : vous arrivez dans une bourgade, vous testez les péquins du coin avec votre capacité d’interaction, puis une péripétie vous invitera à occire un boss dans le souterrain le plus proche.
Ce classicisme n’aurait pas été gênant si le level design avait été aussi soigné que les combats. Dans leur écrasante majorité, les donjons se résumeront à des couloirs interchangeables sans autre gimmick que les créatures qui vous barreront le chemin. Les lumières volumétriques donnent un certain cachet visuel aux cavernes les plus inquiétantes, mais il faudra s’y faire : un seul sentier, quelques coffres cachés derrière un élément du décor, un point de sauvegarde et un boss. On évite certes les enfers d’interrupteurs qui ont fait les cauchemars de tous les amateurs de RPG japonais, mais ce manque d’inventivité empêche de savourer le jeu sur des longues sessions.
L’idée de plonger le joueur dans l’histoire de petites gens partageant un bout de chemin sans grande épopée fédératrice a déjà fonctionné, mais la segmentation des intrigues enraye ici le sentiment de progression. Chaque personnage suivra son périple déconnecté de celui des autres, et vos actes n’auront pas de conséquence notable à l’échelle du monde. Ne vous attendez pas à voir émerger une quelconque dynamique de groupe : le titre en est dépourvu, sinon au détour de quelques saynètes façon Tales of qui sonnent comme un bien maigre compromis.
Par bien des aspects, c’est cette approche procédurière et décousue qui empêche Octopath Traveler de décoller. Le titre en vient même à rationaliser la progression en indiquant clairement le niveau requis pour venir à bout des chapitres qui vous attendent… et ce quand bien même les ennemis progresseraient en même temps que vous. On regrette aussi qu’un jeu dont le thème principal reste le voyage – et donc l’exploration – n’ait pas apporté plus de soin aux quêtes annexes. Tout juste échangerons-nous avec deux ou trois passants histoire de résoudre fissa les intrigues locales, mais ces dernières ne viennent pas suffisamment diversifier l’expérience de jeu ou étoffer l’univers.
Octopath Traveler est-il un bon ambassadeur pour le RPG à l’ancienne sur Switch ? Assurément, tant l’usage nomade de la console de Nintendo se prête aux conventions du genre. Acquire réussit donc son pari, et part sur les bons rails pour d’autres titres qu’on espère plus rigoureux. Porté par une réalisation séduisante, le cœur de jeu d’Octopath nourrit en définitive des affrontements intenses mais s’inscrit dans une structure trop redondante pour tenir le joueur en haleine sur la durée. Un titre qu’on picorera volontiers entre deux bains de soleil, à défaut de pouvoir le dévorer à pleines dents.