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Au cœur de Génération Identitaire

(Matthieu ALEXANDRE / AFP)

Génération (n.f.) : ensemble des personnes vivant dans le même temps et à peu près du même âge. Identitaire (adj.) : membre d’un courant politique militant pour la défense de son identité régionale ou nationale qu’il estime menacée. Récit au sein d’une organisation contestée.

Il est loin d’être aisé de poser des questions à ces militants et représentants de Génération Identitaire. Largement présents sur les réseaux sociaux, ce n’est pas pour autant que leurs portes sont toujours ouvertes. Un renvoi systématique vers un représentant, un délégué local, souvent sans réponse… Des paroles verticalement contrôlées et une stratégie marketing bien ficelée.

Samedi 13 juin. Jour de manifestation contre les violences policières à Paris, place de la République. Une banderole est déployée sur les toits : « Justice pour les victimes du racisme anti-blanc. White lives matter ». Un slogan issu de la mouvance américaine soutenant la suprématie blanche. Les auteurs ? Une dizaine de membres de Génération Identitaire, dont Jérémie Piano, 25 ans, et militant identitaire depuis 2010. Aujourd’hui, ce cadre du mouvement est responsable de la fédération d’Aix-en-Provence. Il a accepté de répondre à nos questions.

Il existe 18 fédérations dans toute la France, à Lille, Paris, Lyon, Nantes ou Toulouse. En bref, « Génération Identitaire » est présent dans chaque métropole, implanté dans l’ensemble des régions. Créé en 2012, ce groupuscule d’extrême droite fait parler de lui. Les « identitaires » sont actifs : des campagnes d’affiches aux occupations illégales. La rue pour permanence politique. Avec l’action du 13 juin dernier, cette organisation est loin d’être à son coup d’essai.

Des actions chocs.

En 2012, ils occupent illégalement le chantier de la Grande mosquée de Poitiers afin de combattre « l’islamisation de la société ». En 2016, la création de barrages filtrants entre Calais et la jungle de Calais. En 2018, Génération Identitaire a affrété le bateau C-Star pour « enquêter sur les ONG pro-migrants en Méditerranée » (le bateau n’a pas eu pour objectif « d’enquêter » sur certaines ONG mais d’intercepter et reconduire les embarcations de réfugiés venant de l’Afrique et rejoignant les pays méditerranéens de l’Union Européenne NDLR).

Frontière rétablie. Une action anti-migrants menée par des militants identitaires dans les Hautes-Alpes en avril 2018. (AFP)

En 2018, l’opération « Defend Europe » a eu une médiatisation sans précédent. Entre 80 et 100 militants de ce groupuscule ont « tenu » la frontière franco-italienne en occupant les Hautes-Alpes. En 2019, l’occupation des locaux de SOS Méditerranée a eu pour but d’alerter sur les « agissements » de l’Aquarius ( les « agissements » de ce navire concernait le sauvetage de près de 30 000 migrants en mer de février 2016 à décembre 2018 NDLR).

Et aujourd’hui, cette banderole « contre le racisme anti-blanc face aux 20 000 racailles qui crachaient leur haine de la France et des Français » nous dit-il. Pour rappel, cette manifestation est à l’initiative du Comité Adama (du nom d’Adama Traoré, jeune homme noir mort en juillet 2016 après son interpellation par la gendarmerie en banlieue parisienne) afin d’avertir le racisme et les violences policières.

Cette banderole [du 13 juin] dénonce le racisme anti-blanc face aux 20 000 « racailles » qui crachaient leur haine de la France et des Français.

Jérémie Piano, cadre de Génération Identitaire, à propos de la banderole déployée lors de la manifestation du 13 juin dénonçant le racisme et les violences policières

En clair, des actions chocs. « Un Greenpeace de droite » nous affirme-t-il. Les questions environnementales en moins. Un cheval de bataille différent en somme. C’est en tout cas ce que nous fait comprendre Jérémie Piano en nous rappelant le nombre de campagnes locales marquantes. En témoigne les « opérations de sécurisations de la ville face à la racaille et l’islamisation » comme le 28 mai dernier à Lyon.

Le collectif identitaire a prétendu se substituer aux forces de l’ordre pour « protéger le peuple de la racaille » dans le centre-ville et le métro. En réalité : une opération de tractage et un affichage de pancartes provocantes. Le Collectif Défense et Egalité, composé d’avocats du barreau de Lyon, a qualifié ce mouvement de « milices » et a alerté sur le caractère illégal de leurs actions : « Ces groupements n’ont pas à s’attribuer les missions et prérogatives d’intérêt général relevant de professions, de missions et de fonctions réglementées. Ils ne peuvent encore moins disposer de la ville comme ils le veulent ».

L’action effectuée sur les murs de la Grande mosquée de Lyon en pleine pandémie est révélateur. « Lyon, Strasbourg, Marseille, Allemagne, Espagne. Stop ! Le chant du Muezzin ne résonnera pas en Europe ! ». Des mots projetés sur le minaret de la mosquée pour protester contre un appel à la prière (un unique appel à la prière a retenti le 25 mars en même temps que les cloches de l’ensemble des églises de France pour soutenir les soignants NDLR). Le ton est donné. Légère référence à OSS 117, l’action est « humoristique » selon lui. Des paroles et des actes entièrement discriminatoires.

Violences policières, réalité alternative.

Génération Identitaire défend fermement l’exagération de ces violences policières par ces « racisés inspirés par la mouvance Black Lives Matter, par les « indigénistes » (une référence au Parti des indigènes de la République représentant l’extrême gauche antiraciste et décoloniale), par l’extrême gauche et les autres racailles politiques ». Il conclut en nous affirmant que ces « violences supposées sont en réalité largement exagérées et visent surtout à obtenir l’impunité pour certaines communautés ». Aucun chiffre pour soutenir son propos.

Les violences [policières] supposées sont en réalité largement exagérées et visent surtout à obtenir l’impunité pour certaines communautés.

Jérémie Piano, cadre de Génération Identitaire

A noter que le Défenseur des droits Jacques Toubon dénonce un cas de « discrimination systémique » au sein de la police. Ce rapport est appuyé sur les analyses des pratiques du commissariat du XIIème arrondissements de Paris à l’encontre de jeunes habitants noirs et arabes ou perçus comme tels sur plusieurs années : contrôles au faciès, insultes et violences répétées de la part des policiers. Le dernier rapport d’Amnesty International nommé « Police et Pandémie » l’affirme : « la police a visé de manière disproportionnée les minorités ethniques et les groupes marginalisés dans toute l’Europe, par des violences, des contrôles d’identité discriminatoires, des mesures de mise en quarantaine forcée et de contraventions ». Qui croire ?

Entre récupération politique et… récupération politique.

Génération Identitaire a choisi « la voie de l’activisme politique ». Objectif ? « Orienter le débat politique sur les thèmes de l’identité, de l’immigration, de l’islamisation et du racisme anti-blanc ». Ne se reconnaissant pas dans le jeu politique actuel, Jérémie Piano nous confie que Génération Identitaire sert de gouvernail politique « en inspirant les acteurs de la politique électorale ».

« Laurent Wauquiez et Nicolas Dupont-Aignan ont repris notre idée d’un référendum sur l’immigration, Marine Le Pen celle d’expulser les criminels étrangers, Eric Zemmour et Geoffroy Lejeune (rédacteur en chef de Valeurs actuelles) ont défendu notre idée de « remigration ». Et d’ajouter : « Une de nos propositions a même inspiré François Hollande lors de sa mandature, défendant pendant quelques temps notre idée de déchoir de la nationalité française les djihadistes binationaux ». De Hollande à Le Pen, la récupération est faite.

Pourtant, l’histoire de Génération Identitaire a prouvé qu’elle n’avait pas un rapport si proche avec les instances du pouvoir. En témoigne les tentatives du gouvernement Philippe de dissoudre ce mouvement en mars 2019 suite à l’occupation illégale du toit de la caisse d’allocations familiales (CAF) de Bobigny. Une action afin de réclamer de l’argent « pour les Français et non plus pour les étrangers ». Christelle Dubos, secrétaire d’Etat, l’affirme pour les colonnes de Libération : « L’intérieur et la Justice [ministères concernés] sont plutôt partants pour la dissolution, et ont exploré des solutions légales. Le problème est que les animateurs de Génération Identitaire connaissent le droit et jouent sur ses limites. Ils occupent des lieux publics, en perturbent l’accès, mais ne mènent pas d’action violente ». Les actions sont symboliques. De ce fait, « les gouvernements passent et notre organisation demeure » prétend-il, assuré.

Occupation des locaux de SOS Méditerranée à Lyon le 9 février 2020. (Génération Identitaire / Youtube)

Le constat est clair : Génération Identitaire est un mouvement qui rassemble, chez les jeunes en particulier. Selon Jérémie Piano, les adhésions ont dépassé le seuil de 4 000. Pourquoi ce résultat ? « La jeunesse est la première victime de l’insécurité et de l’ensemble des conséquences désastreuses de l’immigration-invasion ». Le pont est rapide, souvent douteux. L’amalgame est lancé : « C’est elle [la jeunesse] qui côtoie chaque jour la racaille, qui meurt pour un regard de travers, une cigarette refusée et parfois même pour sa couleur de peau ». Rappelons que l’une des premières étapes du « discours raciste tient dans le renversement du récit et le blâme de ceux qui osent se rebeller » , comme l’explique un article d’Alternatives économiques du 3 juin dernier.

Les mains sales.

Face aux critiques, Génération Identitaire se défend. « Notre mouvement s’est construit en rupture avec toutes les idéologies liées à des régimes totalitaires du 20ème siècle ». Une subtile allusion au reportage mené par Al-Jazeera en 2018 montrant des membres de la délégation lilloise de Génération Identitaire ayant des propos racistes ou faisant l’éloge du Troisième Reich. Le rectificatif est immédiat : « Ces propos ont été tenus par des sympathisants du mouvement « La Citadelle » et ne sont en aucun cas imputables à notre mouvement ». Le gérant du bar « La Citadelle » et du mouvement du même nom, Aurélien Verhassel, est selon lui, et au moment des faits, un membre de Génération Identitaire.

Le mouvement a clairement démenti sans pouvoir nous préciser une date à laquelle il ne faisait plus parti de l’organisation. Le désaccord s’est installé. Génération Identitaire veut asseoir sa crédibilité pour qu’un seul message ne survive : « nous luttons contre les islamistes et leur influence en France ». Al-Jazeera est attaqué : « Ils sont connus pour avoir produit de nombreux reportages bidonnés et manipulés. Ils ont voulu nous nuire […] et ne reculent devant aucun mensonge afin de parvenir à leurs objectifs ».

Génération Identitaire occupe les toits le 13 juin, place de la République à Paris. (Thomas SAMSON / AFP)

Génération Identitaire représente la défense « d’une identité, d’un pays, et d’une civilisation » face à « ceux qui, chaque jour, tentent de détruire notre peuple et sa culture ». « Nous voulons une société qui serait à nouveau fière de ses racines, de son Histoire et de ses traditions ». A l’heure du déboulonnage des statues et des idoles mémorielles, la France, selon lui, doit « retrouver la fierté de ses héros : de Clovis à du Guesclin, de Jeanne d’Arc à Saint Louis ». Une certaine idée de la société.

1893.

« L’arrêt de la politique migratoire passe par les Etats ». Pour Jérémie Piano et l’ensemble de Génération Identitaire, l’épisode des confinements étatiques dus à la pandémie de coronavirus ne doit pas être une simple parenthèse. La fermeture des frontières intra-européennes est une nécessité autant qu’elle est possible « contrairement à ce que disent nos dirigeants ». L’opération « Defend Europe » est plus qu’un symbole.

Été 1893. Dans le Gard, la compagnie des Salins du Midi recrute des ouvriers pour le battage et le levage du sel. L’Europe se relève d’une crise économique. Les italiens du nord comme les locaux y voient une belle opportunité d’embauche. Les équipes sont mixtes, une échauffourée éclate. La violence gagne la ville d’Aigues-Mortes, ceux qui n’ont pas réussi à être embauché. Une chasse à l’homme se met en place. 9 morts. 17 disparus. Une centaine de blessés. Tous italiens. La petite musique nationaliste en toile de fond. La tentation fasciste semblait lointaine. Elle se logeait pourtant dans le discours le plus primitif. Aujourd’hui, le racisme ne porte pas de nouveaux vêtements.

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Journaliste culture, politique et société
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