Les prix du concours de la Photographie Politique 2020 de Sciences Po Paris ont été décernés ce jeudi 15 octobre, récompensant les meilleures photographies en termes d’esthétisme et de portée politique. Cette année, c’est Paul Dza et sa photo Tant qu’il sera planté comme ça qui remporte le premier prix. Une photographie d’une terrible actualité.
Prise à Minsk, capitale de la Biélorussie, le 16 août 2020, la photographie met en avant les manifestations contre le régime d’Alexandre Loukachenko suite à sa victoire aux élections que beaucoup dénoncent comme frauduleuse. En effet le président, au pouvoir depuis 1994, est surnommé le « dernier dictateur d’Europe ».
Nous avons eu une interview avec Paul Dza pour comprendre son parcours, sa vision sur le photojournalisme, et ses préoccupations pour la Biélorussie.
Quel est votre parcours et que sont vos intérêts ?
Je m’appelle Paul Dza, j’ai 20 ans et suis photojournaliste indépendant, travaillant sur des thématiques sociales, politiques et m’intéressant tout particulièrement aux pays de l’ex-URSS. Je suis étudiant dans deux établissements : l’Institut Français de Presse de l’Université d’Assas (Paris 2), et l’école de photographie contemporaine Docdocdoc de Saint-Pétersbourg (Russie).
Vous avez gagné le premier prix pour votre photographie Tant qu’il sera planté comme ça. Qu’est ce que cela signifie pour vous ?
Ce prix, pour lequel je remercie à nouveau Sciences Po ainsi que l’ensemble de ses partenaires, représente pour moi une visibilité et une reconnaissance globale aussi bien pour mon travail que pour la mise en lumière de la situation sur place. Je suis photojournaliste pour pouvoir ramener une information directe et indépendante depuis le terrain, et ce prix vient confirmer cette nécessité et l’intérêt persistant pour le photojournalisme.
Pouvez-vous nous expliquer le contexte de votre photographie ? Que se passait-il ce jour là?
Ce jour-là, pour la première fois depuis le début des manifestations massives à Minsk et en province, les manifestant.e.s sont arrivé.e.s jusque devant un lieu symbolique : la Maison du Gouvernement, située sur la place de l’Indépendance, au cœur du quartier de l’administration gouvernementale. La foule qui était derrière moi au moment de prendre la photo était au moins cent fois plus importante que les quelques militaires positionnés pour les empêcher de pénétrer dans l’enceinte du bâtiment. J’ai alors eu cette sensation impressionnante que l’Histoire se jouait, que le face-à-face si rapproché était une première pour les deux camps, et que les portes du Pouvoir n’étaient qu’à quelques pas devant la foule.
Cette photo, je l’ai intitulée « Tant qu’il sera planté comme ça » et cela a une résonance toute particulière vis-à-vis des événements politiques au Bélarus. Ce titre est extrait de la chanson populaire ‘L’Estaca’, chant d’opposition catalan contre la dictature de Franco. Au même titre que Bella Ciao, ce chant a été traduit dans de nombreux pays par les mouvements d’opposition. Cela a notamment été le cas lorsque j’étais au Bélarus, et ce chant de lutte pour la liberté se place au cœur-même de l’actualité politique du monde.
Pouvez-vous nous éclairer davantage sur les manifestations contre le régime de Loukachenko qui sont au cœur de l’actualité biélorusse depuis juin, et nous donner votre vision de la situation?
Le président Loukachenko, réélu sans interruption depuis la fin des années 90′, est considéré comme le « dernier dictateur d’Europe ». Il tient son pays d’une main de fer, la répression s’abat sur toute opposition à son régime, entraînant une grande peur dans la population. Mais ce mois d’août 2020 a marqué le franchissement d’une limite pour les Bélarusses. Alors qu’un mouvement historique d’opposition s’était mobilisé dans tout le pays malgré l’emprisonnement de plusieurs candidats à l’élection, le Président a été réélu dès le premier tour avec un score ne reflétant pas le vote des Bélarusses. La réélection a donné lieu à trois nuits d’émeutes, où la répression s’est violemment abattue, de la coupure totale d’Internet aux arrestations massives et détentions arbitraires. Marquées par des décès de manifestants ainsi que de nombreux témoignages de torture en prison, ces nuits ont ensuite été médiatisées sur les réseaux sociaux dès le retour d’Internet, entraînant la mobilisation massive de la population, bien plus largement que les jours précédents. La situation actuelle est bloquée, le Président est toujours au pouvoir, les figures d’opposition sont exilées mais les manifestations continuent.
Quelle est la portée politique de votre photographie ?
Cette photographie allie politique et esthétique. Elle n’a pas la prétention de résumer les événements actuels dans le pays, elle est une parenthèse capturée par un point de vue qui est le mien, celui d’un photojournaliste indépendant, sans lien direct avec le pays, mais avec un regard attentif au moindre détail.
Cette esthétique mélange les immeubles d’architecture soviétique, représentant grandeur, autorité et perfection, et les soldats, qui posent presque pour la photo, immobiles et presque uniformes. « Presque », car lorsque l’on se penche sur chacun d’entre eux, l’uniforme laisse transparaître de petites différences propres à chacun. Cette scène c’est un peuple divisé, deux facettes d’un même pays, deux camps qui ont fait leur choix.
Où pouvons-nous retrouver vos photographies ?
Depuis le 1er octobre et au minimum jusqu’au 1er novembre, je suis exposé à La Bellevilloise (Paris 20e) sur un mélange de deux séries de photos prises au Bélarus, aussi bien esthétiques que politiques.
Je suis également exposé grâce au Prix de la Photographie Politique de Sciences Po dans le hall de cette école jusqu’à la fin du mois de novembre.
En ce qui concerne mes projets, ils sont définitivement tournés vers l’Est. Je n’en dévoile pas beaucoup plus mais les prismes sociaux et religieux, de la Russie ou encore des Balkans, seront abordés sous différentes facettes.
Vous pouvez aussi suivre mon actualité ainsi que mes projets sur pauldza.com et sur mon compte Instagram @paul.dza