Hier soir, les résultats du Front National aux élections européennes ont créé la surprise. Devenu le premier parti de France avec presque 25% des suffrages récoltés, l’inquiétude monte parmi une classe politique divisée et une population désorientée. Mais une question se pose : qui est responsable de cette montée du FN?
24,96% tel est le résultat exact du FN aux élections européennes de 2014 en France. Une percée fulgurante, c’est certain, mais quelles leçons tirer de cette débâcle sans précédent ? La poussée du FN est-il le cri d’un désespoir ou le signe d’un profond euroscepticisme ?
Un résultat FN sans précédent
Jamais le FN n’était arrivé à un score pareil. Devenant le premier parti de France lors de ces élections européennes, les scores des partis traditionnels sont ici plus que médiocres. Ainsi, le parti de Marine Le Pen quadruple son score par rapport aux européennes de 2009 : il arrive en tête dans 6 circonscriptions sur 8. Il est certain que l’on peut parler d’un raz-de-marée bleu marine, voire de « séisme », selon les termes de Manuel Valls : 24 députés eurosceptiques français sur 74 vont être envoyés au Parlement européen. C’est le plus grand apport europhobe qu’un pays puisse donner à l’hémicycle européen.
Qualifié d’ « information suffocante » par Jean-Luc Mélenchon, de « très grande colère contre la politique du président Hollande » selon Jean-François Copé ou encore d’ « escroquerie qui ne débouchera sur rien » pour José Bové, l’avènement en masse du FN sur la scène européenne laisse la plupart des observateurs sceptiques. Sceptiques certes quant à l’état de l’opinion publique française, mais surtout quant au rôle que pourraient jouer ces 24 députés eurosceptiques. Pas sûr que leur influence au sein du Parlement européen soit assez forte pour changer quoi que ce soit, mais la présence française au sein de l’hémicycle sera à coup sûr altérée.
Une remise en cause de la classe politique française traditionnelle
« Des leçons doivent être tirées » selon l’Elysée. C’est certain. Mais à travers cet échec de l’UMP et du PS, c’est l’expression d’une profonde désapprobation de la politique actuelle qui est mise en avant, en plus d’une déception exprimée par les citoyens. Avec seulement 13,98% des suffrages exprimés, le parti du gouvernement de M. Valls n’arrive plus à sauver les meubles. C’est une véritable remise en cause de la politique menée par François Hollande : les hausses d’impôts, le manque de résultats des différentes politiques publiques, les problèmes d’insécurité, une impression d’inertie du pouvoir en place… Tant de problématiques qui ne sont pas résolues et qui ne semblent pas prêtes à trouver une issue cohérente.
Souvent loin d’être un vote entièrement idéologique, les suffrages pour le FN traduisent une véritable désaveu de la politique telle que menée par les partis traditionnels. Le Parti Socialiste n’est pas le seul, l’UMP est lui aussi épinglé. Crédité à 20,8% des voix, loin derrière le FN, le parti de Jean-François Copé a aussi subi un échec, lui qui, pourtant, sortait vainqueur des élections municipales. Le barrage contre le Front National semble avoir été percé, et celui-ci en plein cœur.
Concernant le Front de Gauche et le parti de l’EELV, les résultats médiocres de ces derniers montrent aussi un manque de réponse aux préoccupations des citoyens français. Venu commenter les résultats des européennes sur le plateau de France 2, Jean-Luc Mélenchon, le candidat du Front de Gauche dans le Sud-Ouest, agacé depuis l’annonce du succès du FN, a quitté le plateau de la chaine publique. Cette dernière esclandre marquait la fin d’une soirée difficile pour la gauche.
Un changement politique à mettre en œuvre
Le Premier Ministre, pour expliquer la débâcle socialiste, dit que l’on est face à une « Europe trop étrangère aux préoccupations des citoyens », d’où une montée eurosceptique en France. L’explication est néanmoins loin d’être suffisante. La plupart des responsables politiques accusent le coup, la responsabilité est partagée. Manuel Valls lui même l’exprime dans son discours hier soir : « Aucun d’entre nous ne peut se dérober de ses responsabilités. » De fait, il en appelle à un « sursaut républicain » et à une « action collective ». Bien que rappelant les mesures gouvernementales qu’il compte mettre en œuvre, le chef de l’exécutif n’arrive pas à convaincre, la défaite étant trop grande pour qu’une quelconque conviction puisse ressortir de ce discours. Laisser le monopole de l’alternative au Front National, telle a été la méprise d’une scène politique française qui n’a pas su se renouveler.
Dès lors, il faut rappeler l’incompréhension de l’enjeu européen. En effet, les proeuropéens n’ont pas réussi à répondre aux antieuropéens. Le taux d’abstention en est d’ailleurs la preuve : 57% en France. Le désintérêt pour les élections européennes témoigne d’un manque de pédagogie que les politiques et les médias auraient dû mettre en œuvre. Le défaut d’informations pertinentes, l’absence de l’explication des enjeux, autant de difficultés qui n’ont pas été résolues par l’ensemble de la classe politique. Accaparée par ses problèmes nationaux, la France n’a pas pu se mettre à une heure plus européenne, contrairement à d’autres pays comme l’Allemagne ou les Etats scandinaves.
Hommes et femmes politiques n’ont donc pas trouvé les mots. Seul le FN a traduit une forme de « performance » lors de ces élections européennes. La date du 25 mai 2014 fait ainsi suite à deux autres dates toutes aussi traductrices de cette tendance europhobique et d’une forme de repli sur soi : le 21 avril 2002, avec l’arrivée du FN au second tour des élections présidentielles et le 29 mai 2005, avec l’échec du référendum français sur le traité établissant une constitution pour l’Europe. Il semblerait que la date du 25 mai 2014 soit une synthèse des deux. En tout cas, il est clair, au vu des résultats d’hier, que les politiques ont dû mal à tirer les leçons du passé.
Des médias qui n’ont pas su informer ?
Parler de la responsabilité des politiques, c’est aussi parler de la responsabilité des médias qui eux non plus n’ont pas su remplir leur devoir de transmission. Le pessimisme permanent qui se dégage de l’ensemble de la sphère médiatique a renforcé le rejet de la politique européenne actuelle. La nécessité de réformer les institutions est un point essentiel, pourtant l’ignorance des individus sur le fonctionnement des institutions de l’UE a semble-t-il renforcé la montée d’un FN jouant sur la peur d’une société fragilisée.
De ce fait, les médias font l’objet de nombreuses critiques. Invités ce matin de Jean-Pierre Elkabbach sur Europe 1, l’ancienne plume de M. Sarkozy, Henri Guaino, et le Premier secrétaire du parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, ont clairement accusé les médias pour les résultats d’hier soir. Ce dernier a d’ailleurs préféré renvoyer la responsabilité sur les faiseurs d’actualité : « Quand est-ce que les médias se sont tournés vers les élections européennes ? (…) on s’est tourné vers l’élection européenne que 10 jours, 8 jours avant… Voilà. ». Une mise en cause, elle aussi, relayée par Henri Guaino : « Tout le monde a sa responsabilité. La classe politique en a une écrasante mais la classe médiatique aussi. » L’omniprésence de Marine Le Pen dans les médias a certainement contribué à l’affluence des votes d’extrême droite dans nos urnes. Prendre le Front National pour un parti comme les autres, telle a été l’erreur d’une scène médiatique voulant jouer sur le sensationnel. N’oublions pas que les racines de ce parti sont loin d’être à proprement démocratiques…
L’UE, bouc émissaire ?
La montée de l’europhobie en France traduit malheureusement une tendance européenne. Ainsi, l’Etat français n’est pas le seul à avoir voté en masse pour l’extrême droite. Le Parti du peuple danois, formation de droite radicale et anti-immigration, arrive en tête des élections au Danemark avec 26,7%, comme le Royaume-Uni où le leader Nigel Farage arrive premier en recueillant 27,5% des voix. En Finlande, les populistes du parti des Vrais Finlandais se constituent comme la troisième force politique du pays avec 12,9% des voix. Quant à la Hongrie, le parti eurosceptique Jobbik arrive en deuxième avec 14,7% des suffrages (3 sièges). De même qu’en Italie, où le Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo récolte entre 22,4% et 25,3% des voix. Enfin, l’allié de Marine Le Pen, Geert Wilders, dirigeant du Parti de la liberté (PVV), islamophobe et europhobe, est finalement arrivé troisième avec 12,9%. Mais la percée la plus inquiétante est peut être celle présente en Grèce avec le parti néo-nazi, Aube dorée, qui se place en troisième position avec un score de 9,3%. En tout, 130 élus europhobes sont entrés au Parlement européen.
La nécessité d’un changement du langage politique européen est réellement présente. Celui-ci semble opaque, voire complètement incompréhensible. Mais au delà de ce manque de transparence évident, ce sont les discours politiques et médiatiques qui sont en partie responsables de cette europhobie. En effet, l’austérité imposée en Europe est source de désaffection autant auprès de la population civile que de la classe politique européenne. En outre, avec le chômage de masse, la crise, l’ouverture des frontières, la chasse au déficit, l’insécurité, l’Union Européenne est rendue responsable de tous les maux. Le rejet d’un schéma fédéraliste à l’européenne nous rappelle que la souveraineté des Etats reste le fondement d’une construction européenne durable.
Pourtant, face aux puissances américaine et asiatique, la puissance européenne doit être unifiée. Et c’est ce que la plupart des Etats européens ont essayé de faire. Ainsi, deux grandes formations sont malgré tout arrivées en tête : les socialistes/socio démocrates et les conservateurs. Selon les estimations diffusées par Bruxelles, les conservateurs du Parti populaire européen (PPE) sont premiers avec 212 sièges, suivis par les socialistes et démocrates (S&D) avec 185 sièges. Les centristes de l’ADLE disposeraient, quant à eux, de 71 sièges et les Verts et la gauche radicale de 55 et 45 députés.
En outre, les alliances entre les différentes extrêmes droites ne sont pas encore scellées. En effet, l’UKIP du Royaume-Uni et le Parti du peuple danois refusent de s’allier au Front National de Marine Le Pen. Le groupe eurosceptique risque donc de ne pas beaucoup peser au Parlement. En effet, la constitution d’un groupe parlementaire nécessite l’alliance de 25 députés issus de 7 pays différents, et tous ces partis populistes ne sont pas prêts à s’unir.
Doit-on avoir honte d’avoir voté pour le FN ? Il n’y a pas de doute. Cependant, une remise en cause doit être entreprise, autant au niveau de notre politique que du comportement des médias, si l’on veut qu’aux prochaines élections, ce ne soit pas le bleu marine qui triomphe.
Photo à la une : meeting à Lens (Pas-de-Calais) (AFP/Philippe Huguen)
Photo : Marine Le Pen après son discours, le 1er mai 2014 à Paris. (Photo KENZO TRIBOUILLARD. AFP)
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