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On a vu pour vous… Fleabag (BBC 3 et Amazon)

La comédie dramatique Fleabag est un petit bijou d’humour désenchanté et de sensibilité, porté par sa créatrice et interprète Phoebe Waller-Bridge. Attention, révélation.

C’est quoi, Fleabag ? Fleabag (Phoebe Waller-Brige), c’est le surnom de l’héroïne, une jeune londonienne. Propriétaire d’un café au bord de la faillite, c’est une femme sexuellement libérée et sans complexe, capable de coucher avec le premier venu. Elle a pourtant un petit ami, qui la quitte régulièrement parce qu’il ne supporte pas ses pulsions et son appétit sexuel. Fauchée et névrosée, Fleabag s’entend mal avec sa sœur (Jenny Rainsford), une anorexique coincée qui mène une petite vie rangée avec son mari ; elle peine à communiquer avec un père distant ; et elle entretient des rapports d’une délicieuse hypocrisie avec une belle-mère (géniale Olivia Colman) qu’elle n’apprécie pas. Malgré la mort de sa mère et le suicide de sa meilleure amie, la jeune femme vit sa vie – ou du moins, elle essaye, cachant son mal-être derrière son entrain et son dynamisme.

Au départ, il y a une pièce de théâtre, primée lors du festival d’Édimbourg en 2013 : le monologue d’une jeune femme, qui parle de sa famille, de ses relations, de ses aventures sexuelles, de sa vie. C’est son auteure et interprète, Phoebe Waller-Brigde (à qui l’on doit déjà Crashing), qui s’est chargée de l’adaptation pour la BBC3, qui diffuse désormais ses programmes uniquement en ligne. Elle reprend le rôle de Fleabag, son héroïne, dans la série de 6 épisodes de 25 minutes.  La forme théâtrale ne transparaît que dans quelques adresses directes au public ; le procédé, que l’on retrouve par exemple dans House of Cards, est ici plus subtil et moins grandiloquent. Ces apartés, drôles mais non dépourvus  d’une certaine amertume, sont souvent en décalage avec la situation et ils sont l’occasion pour Fleabag de révéler ce qu’elle ressent véritablement, avec une honnêteté  désarmante, et de faire ainsi du spectateur son complice.  

Et ce n’est pas gagné ! Il y a longtemps qu’une comédie ne s’était pas appuyée sur des protagonistes a priori aussi antipathiques – mention spéciale à Jenny Rainsford, la sœur psychorigide et parfaitement horripilante. Oui, mais Phoebe Waller-Bridge est bien plus maline que ça, et elle approfondit ses personnages par petites touches, les rendant complexes et ambigus, tour à tour agaçants et touchants, au moment où l’on si attend le moins. A commencer par son héroïne, qui n’a rien de bien sympathique au premier abord. Elle se définit elle-même comme une femme « avide, perverse, égoïste, apathique, cynique, dépravée, moralement en faillite, qui ne peut même pas se qualifier de féministe. » On n’est pas loin de lui donner raison. Et pourtant, on s’attache rapidement à Fleabag. La pauvre fille n’est pas gâtée, entre une situation financière délicate, une famille dysfonctionnelle et froide, des relations foireuses et surtout le traumatisme de la mort de sa meilleure amie. Et on comprend vite que le détachement, la désinvolture ne sont qu’une posture, que son indépendance affichée cache sa difficulté à créer des liens, et que l’humour est un rempart et une manière de garder le contrôle.

Une femme en plein doute, frappée par le deuil, solitaire : avec un tel personnage, Fleabag contient tous les éléments d’un mélodrame et pourrait facilement verser dans le pathos.  Ce n’est pas le cas, on est devant une comédie dramatique au sens littéral du terme, dont chaque épisode et même chaque séquence jonglent habilement entre les deux registres. La première scène et la quasi-intégralité du premier épisode relèvent de la comédie pure, avec un ton cru et décomplexé où l’on parle de cul (mais pas seulement), sans tabou ni vulgarité. Toutefois, l’humour brut s’estompe, devient de plus en plus diffus au fil des épisodes, jusqu’à ce que drame et comédie s’entremêlent étroitement  dans une atmosphère qui s’assombrit irrémédiablement. Dans un maelstrom de sentiments, on oscille entre rires et émotions, avec un arrière-goût doux-amer.

Alors bien sûr, c’est une série écrite par une femme, avec pour personnage principal une trentenaire en crise qui couche et parle de sexe : il n’en fallait pas davantage pour voir fleurir les comparaisons avec Bridget Jones ou Hannah de Girls. C’est un raccourci trop rapide : Fleabag ne cherche pas son Mr Darcy, elle n’est pas dans la revendication comme Lena Dunham, et la série n’est pas féministe – à moins de considérer comme tel tout propos porté par la vision sans concession et la parole libérée d’une femme indépendante…  Fleabag ne se prive d’ailleurs pas de brocarder certains mouvements soi-disant féministes (comme dans le pilote, où les deux sœurs assistent à une catastrophique conférence intitulée « Women speaks » ; ou dans l’épisode 4, lorsqu’elles suivent une retraite où on apprend aux femmes à se « libérer » grâce aux tâches ménagères !) S’il fallait vraiment jouer au jeu des comparaisons, Fleabag est moins la lointaine cousine de Carrie Bradshaw que la petite sœur de Louie CK, avec qui elle partage la même ironie désabusée, le même regard distancié pour affronter les coups durs, et la même liberté de parole.  

Certes,  les spectatrices se retrouveront plus ou moins dans le portrait de l’héroïne et dans certaines situations, et quelques répliques parlent au public féminin quand les mecs restent de marbre. (On parle d’expérience !) Mais l’essentiel est ailleurs… Vous n’avez jamais discuté avec votre sœur des piles utilisées dans un vibromasseur ? Vous ne vous masturbez pas devant les discours de Barack Obama ? Moi non plus, mais ça n’a pas d’importance, parce que Fleabag illustre quelque chose de plus large, un certain désenchantement et une angoisse beaucoup plus générale et universelle, propres à notre époque, sans distinction de sexe. C’est le portrait d’un personnage en pleine dépression, qui cherche sa place et ses repères et chez qui l’humour est la politesse du désespoir.  On  est forcément touché : nous non plus, nous ne sommes pas des personnages de Friends ou Sex & The City. Notre vie est faite de hauts et de bas, de fous rires et de mélancolie, d’amour mais aussi de conflits et de solitude, de petits bonheurs et de grandes tragédies. Ce n’est pas facile tous les jours, mais c’est à l’image de l’atmosphère aigre-douce de Fleabag. Avec, au final, l’espoir d’une sorte de rédemption.

Notre nouvelle meilleure amie s’appelle Fleabag : elle nous séduit avec sa bonne humeur et son franc-parler, mais aussi avec ses failles et sa mélancolie. Dans la lignée de Crashing mais en montant en puissance, Phoebe Waller-Bridge nous offre une série drôle, touchante, honnête et subtile, où l’on passe sans cesse du rire à l’émotion. Phoebe Waller-Bridge : retenez bien ce nom. Vous n’avez pas fini de l’entendre…

Fleabag (2016) – 6 épisodes de 25 minutes.
Diffusée sur le site de BBC3 et maintenant sur Amazon.
Crédit photos : BBC3

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