Le 10 octobre 2017, Tim Cahill, capitaine australien, crucifie l’équipe nationale syrienne d’un superbe but à la dernière minute des prolongations. La Syrie n’ira pas à la Coupe du Monde. Derrière cette « belle histoire brisée », se cache une toute autre réalité. Celle d’une équipe opprimée, instrumentalisée par le régime de Bachar Al Assad.
Un peu d’histoire…
Depuis maintenant près de six ans, la Syrie est tiraillée par un conflit sans fin.
En 2011, un mouvement sans précédent touche les pays du Maghreb et du Moyen-Orient : « Les Printemps Arabes. » Ce mouvement est l’expression d’une contestation des régimes politiques de ces pays. C’est à ce moment-là que débute la révolution syrienne.
En quelques mots, la population syrienne s’oppose au régime autoritaire du dictateur Bachar Al Assad. Les syriens réclament notamment le droit à une justice indépendante ainsi que le respect des droits de l’homme. Refusant toute contestation, Bachar répond à sa population par la violence. Cette révolution devient une guerre, qui s’enlise, depuis des années.
Les opposants au régime syrien, forment un groupe de résistance. C’est l’ASL (armée syrienne libre), qui devient la principale opposition du régime. Dans le même temps, une troisième force armée émerge et gagne du terrain : Daesh. En effet, l’Etat islamique progresse car la Syrie est devenu un Etat de non-droit. Le groupe terroriste prend le contrôle de nombreuses villes telles que Rakka, Deir ez-Zor, ou encore Manbij. Tous ces évènements poussent plus de cinq millions de syriens à fuir le pays.
L’équipe nationale de Syrie, instrument de propagande
On parle souvent du sport comme d’un vecteur de bonheur, capable de faire oublier, le temps d’une rencontre ou d’une compétition, les problèmes que vit une population.
Au lendemain de l’élimination de la Syrie, la presse française, à l’unisson, était attristée par la nouvelle.
Pourtant, l’équipe nationale syrienne, reconnue par la FIFA, est un instrument de propagande à part entière du régime. En effet, Bachar l’a façonné, et l’utilise pour redorer son image auprès de sa population. Suivant cette logique, une qualification aurait offert une opportunité en or au dictateur de montrer à quel point le pays qu’il dirige s’inscrit dans un avenir rayonnant.
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Ce que le président syrien essaie de montrer, à travers cette équipe, c’est la (supposée) unité du pays. Ainsi, la sélection serait le reflet de la Syrie : unie, talentueuse et tolérante (car composée de joueurs issus de différents courants de l’islam).
Pour symboliser cette instrumentalisation du football, qui de mieux que l’entraîneur de la Syrie, Ayman Hakeem, en personne? Ses propos, qui peuvent nous faire sourire (jaune), illustrent parfaitement l’ironie de la situation. « La sélection doit rassembler et prouver au monde que le pays va bien. L’équipe joue avant tout pour son président, nous sommes fier de lui, de ce qu’il a accompli, nous voulons le remercier pour tout ce qu’il a fait pour le pays. »
Pour rappel, depuis le début du conflit, environ cent mille civils syriens ont été tués par les forces armées du pays ou par ses alliés.
L’équipe syrienne libre, l’espoir d’un renouveau…
« Syrie libre, libre, libre, libre », ce cri de guerre, c’est celui de l’équipe syrienne libre. Car le conflit a également atteint la sphère du football. En réponse à l’instrumentalisation de l’équipe nationale « officielle », a émergé une seconde sélection : l’équipe syrienne libre (ESL). Celle-ci a été créée pour représenter le peuple syrien, et pas son régime.
L’ESL, non reconnue par les instances de la FIFA, s’est organisée à Mersin, située à quelques kilomètres de la Syrie, à la frontière turque. Elle réunit d’anciens joueurs de la sélection syrienne qui ont été contraints de fuir leur pays, notamment le joueur star Firas Al-Khatib.
Jamil Abdullah, joueur de cette équipe « clandestine » justifie son choix : « J’ai joué dans toutes les équipes jeunes de Syrie, à cette époque je ne réalisais pas ce que représentait la révolution. Mais lorsque j’ai été témoin des injustices contre le peuple de mes propres yeux, je me devais de quitter l’équipe nationale. »
Plus qu’un symbole, cette initiative représente un moyen pour ces athlètes de s’exprimer. L’équipe syrienne libre permet aux joueurs de contester, avec leurs moyens, les atrocités qui ont lieu dans leur pays : « Il y a des gens qui se sont rebellés contre le régime avec des armes, d’autres par l’intermédiaire de la politique. Notre domaine à nous c’est le sport, donc on combat le régime par le sport », confie Jassem Al-Nuwaiji.
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Une triste réalité
Malheureusement, tout n’est pas rose pour ces joueurs courageux qui ont fui leur pays.
Les fans de football qui ont suivi les matchs opposants l’Australie à la Syrie ont pu le constater. Firas Al-Khatib, cité ci-dessus, était présent dans le groupe de l’équipe nationale.
Certaines rumeurs, à prendre avec des pincettes, évoquent la possibilité que le joueur ait été contraint de revenir en sélection sous la pression des autorités syriennes qui auraient pris en otage sa famille.
Ces rumeurs sont évidemment impossibles à confirmer. Mais Jean-Baptiste Guégan, géopolitique du sport, semble se rapprocher de cette idée. « C’est une manière de montrer au régime qu’ils ont fait l’effort de revenir pour l’aider à obtenir sa qualification. En contrepartie, ils ont certainement obtenu que leur famille soit en sécurité. »
Il est pertinent de conclure cet article avec le domaine juridique. En effet, dans le règlement de la FIFA, il est précisé qu’aucun Etat n’a le droit de s’immiscer dans les affaires des fédérations de football qui doivent rester indépendantes. Ce qui n’est pas le cas de la sélection syrienne, vous l’aurez compris.
« La FIFA devrait geler les actions de la fédération, c’est la seule solution… Mais tout ça n’est que de l’hypocrisie, de l’hypocrisie », s’indigne Ayman Kasheet, ancien joueur de l’équipe nationale.